L'exigence des
flûtistes s'est considérablement accrue ces dix dernières
années, obligeant les facteurs d'instruments à de nettes
améliorations. Vélocité des attaques dans l'aigu, puissance
dans le grave, justesse, couleur sonore raffinée, sont
désormais incontournables pour prétendre à un
instrument de haute lutherie. La facture d'instruments
est une activité passionnante, mais qui est dévoreuse de
temps et qui demande beaucoup de rigueur. Mon atelier,
rationnel et bien équipé, me permet de créer les
instruments avec une grande souplesse, et je peux passer de
la fabrication d'une Rafi Ténor à une Soprano Baroque avec
facilité. |
Je contrôle divers
aspects de mon travail avec un microscope stéréoscopique
(acuité des arêtes de coupe, états de surface, porosité des
différentes essences...), ce qui est un bon exemple de ma
façon d'aborder la lutherie. Rien n'est laissé au
hasard, que ce soit la marque des abrasifs que j'utilise, le
temps d'immersion dans l'huile de lin, la nuance d'acier de
mes outils, les procédés d'affûtage,etc. ... tout est testé,
contrôlé, et régulièrement remis en question. |
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La conception de
l'instrument est la première phase.
La flûte a bec a connu
pendant son histoire de multiples doigtés et de nombreux diapasons.
Pour des raisons pratiques, les plus couramment utilisés aujourd'hui
sont les diapasons 415 et 440 Hz. Le diapason 460 concerne
essentiellement les flûtes Renaissance de Consort, et pour un
répertoire spécifique. Les doigtés les plus communs sont le doigté
moderne appelé Baroque, le doigté ancien ou Hottetere, et le doigté
Ganassi, similaire au doigté ancien sur la première octave et demi.
Cette variété des
doigtés et des diapasons d'origine oblige donc le facteur,
la plupart du temps, à adapter les modèles
historiques. Certains ont été mesurés et dessinés avec soin
par les facteurs d'instruments. Fred Morgan, notamment, nous
a laissé des plans extrêmement intéressants, précis et très
détaillés. |
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La transformation du
diapason se fait grâce à des relations mathématiques homothétiques
très simples. Elle entraîne cependant une inévitable modification du
timbre de l'instrument.
Le doigté doit souvent être adapté également. Le doigté moderne,
improprement appelé Baroque, est hélas devenu incontournable
aujourd'hui. La flûte à bec ayant déjà souvent changé de doigté dans
son histoire, était il nécessaire d'inventer celui là? J'aurais
souhaité que l'on en reste au doigté Hottetere, qui permet de jouer
sur des instruments plus proches des originaux, mais le doigté
moderne est aujourd'hui tellement répandu qu'il est peu probable
qu'il soit un jour abandonné.
La tessiture doit parfois
être augmentée, comme c'est le cas sur la flûte Ganassi, ou sur les
flûtes Renaissance. Sylvestro Ganassi inclus dans son traité
une tablature de doigtés pour une flûte ayant une très grande
étendue. Il paraissait donc légitime pour les musiciens d'exiger une
flûte ayant cette tessiture. Or, elle n'est pas utilisée en totalité
dans les exemples de diminutions qui suivent , ce qui semble faire
penser qu'elle n'était pas praticable avec une aisance suffisante.
Les facteurs ont donc été amenés à rendre cette flûte utilisable sur
deux octaves et demi , mais finalement sans réelle justification
historique.
Un autre problème concerne
le tempérament. Nos oreilles modernes se sont habituées à
l'homogénéité du tempérament égal, mais les tempéraments inégaux
apportent une couleur et une expressivité très particulière aux
instruments, et ce même en solo. Pour réaliser ces tempéraments,
l'accordeur électronique est un outil précieux mais à manier avec
précautions. Je veux d'ailleurs m'adresser içi à tous les
flûtistes, à qui je recommande d'utiliser cet excellent outil à bon
escient. A force d'en user, on a obligé les facteurs à se rapprocher
de plus en plus du tempérament égal, qui ne présente pourtant guère
d'intérêt sur une flûte à bec. On peut trouver des déviations
de 35 cents entre deux notes ( Do# et Mib par exemple) sur une flûte
parfaitement accordée....au tempérament Mésotonique. Parmi les plus
connus, le tempérament le plus modéré est Valotti, et je vous le
recommande pour les instruments baroques si vous n'êtes pas initié.
La conception achevée, vient
ensuite la fabrication proprement dite.
Les bois utilisés doivent
impérativement présenter au moins 4 à 5 années de séchage, si
possible plus. L'idéal est de disposer d'un stock coupé ou acheté
par un parent prévoyant... C'est mon cas puisque mon père a fait
provision de buis, érable, poirier, grenadille, palissandre et
bubinga dans les années 1975 à 1980 . Je reconstitue bien entendu ce
stock régulièrement, afin de ne pas être pris de court dans le
futur.
Mais la durée du séchage ne
suffit pas. J'accorde une importance particulière à laisser le bois
se reposer pendant quelques mois entre les diverses phases de la
fabrication : ébauche, perçage, tournage et finition sont des
opérations qui sont espacées de deux à trois mois. Le Buis subit un
traitement spécifique : il est plongé dans l'huile chaude pour
parfaire le séchage et éliminer les tensions internes qui se sont
accumulées au cours du temps.
Le débit est
réalisé avec une scie à ruban. Une sélection rigoureuse des
pièces est faite déjà à ce stade. |
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Les coins sont
abattus avant tournage. |
Les mises au rond
et à la longueur sont réalisées sur un tour à commande
numérique pour garantir une bonne précision du point de vue
de la géométrie de la pièce. Ceci simplifiera les opérations
de perçage et d'alésage en permettant d'obtenir un meilleur
résultat. |
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A nouveau, certaines pièces
sont passées de l'établi à la poubelle, le premier tournage faisant
parfois apparaître des défauts cachés à l'intérieur de la pièce.
Le perçage est l'opération
suivante. Pour permettre un meilleur centrage, c'est la pièce de
bois qui tourne et le foret qui reste fixe. Un premier trou,
cylindrique, est réalisé avec un outil permettant un gros enlèvement
de matière tel qu'un foret à air.
Ce type d'outil permet
d'effectuer un perçage précis sans échauffement, le copeau étant
évacué au fur et à mesure de l'avance par de l'air comprimé.
La finition est exécutée
avec un outil coupant spécial appelé "alésoir". Contrairement au
foret hélicoïdal classique qui coupe à son extrémité, et qui ne peut
donc faire qu'un trou cylindrique, l'alésoir possède une arête de
coupe sur toute sa longueur, ce qui permet de créer un trou conique
avec une excellente finition. L'alésoir reproduit en fait sa propre
forme à l'intérieur de la perce, aussi est-il possible d'obtenir une
perce de forme complexe. Il est nécessaire de posséder un alésoir
pour chaque forme de perce. Les alésoirs sont des outils très
importants, spécifiques à la facture d'instruments à vent.
Je réalise
les miens dans mon atelier où ils sont tournés sur un tour à
commande numérique de haute précision. Les coupes sont
taillées avec une fraiseuse, machine qui rend de grands
services dans un atelier. |
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J'utilise pour
tailler le canal une machine que j'ai adaptée spécialement
pour cet usage. Cette machine me permet de reproduire à
l'intérieur de la tête de la flûte la courbure nécessaire
avec une grande précision. |
Le résultat est une
ébauche très proche de l'objectif final, sur laquelle je
peux travailler avec une bonne base de départ. |
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Le
tournage se fait à la main pour certaines flûtes, avec un
tour à commande numérique pour d'autres. Une machine
complexe mais qui exécute un travail d'une telle qualité
qu'on en oublie le manque d'agrément à l'utiliser. Que le
tournage soit fait à la main ou non, il détermine
l'esthétique de l'instrument. Mais la partie artistique
proprement dite, réservée à l'oreille et à la main,
intervient beaucoup plus tard dans la fabrication. |
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Le polissage et la
teinture donneront un caractère unique à chaque instrument.
Des abrasifs de plus en plus fins (jusqu'au grain 1200) sont
passés successivement, puis la pièce est finie avec une pâte
à polir. Le résultat final dépend en partie de l'affûtage
des outils qui ont servis au tournage. |
Les flûtes de forme simple
comme les Ganassi et les Rafi peuvent être vernies "à la française"
avec de la gomme laque, particulièrement si elles sont en bois clair
et ne sont pas teintées. Quant aux flûtes de forme plus complexe,
comme les flûtes baroques, ou en bois plus foncé comme le
Grenadille, elles sont simplement polies. La future flûte subit
dans tous les cas un traitement à l'huile de lin pour améliorer ses
qualités acoustiques et pour limiter les échanges hygrométriques
avec l'extérieur. La teinture est réalisée à l'ancienne, avec entre
autres de l'acide nitrique, suivant un procédé strict de préparation
et de finition. Ce type de teinte a montré une résistance dans le
temps hors du commun, puisque les instruments historiques étaient
teintés ainsi.
La lumière est
taillée sur une fraiseuse, la tête de la flûte étant
maintenue sur un support spécial. |
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Je dispose d'une
fraiseuse pilotée 4 axes qui me permet de réaliser diverses
opérations, notamment le perçage des trous du corps. Certes
la machine est surqualifiée pour cette opération, mais elle
a pour avantage d'offrir une grande précision, notamment
dans la position angulaire. A défaut, on trace avec soin et
on utilise une perceuse traditionnelle. |
Cette machine me permet
également d'usiner d'excellentes ébauches de blocs pour les modèles
les plus courants.
Un résultat
excellent, avec notamment une absence totale de bavures.
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A partir de ce moment, on
abandonne les tours, perceuses et autres machines. C'est la plus
grande partie du travail, en termes de temps de fabrication, et
c'est aussi la plus intéressante. Elle est réalisée sur mon bureau
avec des outils traditionnels très simples.
Le biseau (labium)
est taillé à la main avec un ciseau à bois et fini avec des
outils spéciaux. |
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De même, le bloc
est sculpté dans un carrelet de cèdre, après avoir tourné
deux épaulements correspondant au diamètre intérieur de la
tête qui serviront de repères. |
Il est ajusté avec
précision dans la tête de la flûte pour pouvoir s'emboîter
sans forcer avec une parfaite étanchéité. |
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Le canal est
retouché avec des abrasifs fins. La lumière est finie avec
divers petits outils tels que limes fines ou scalpel.
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Le scalpel est
aussi utilisé pour évaser les trous du corps et du pavillon,
ce qui est une des méthodes d'accordage de la flûte. |
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Certaines essences sont
assez sensibles à l'humidité dans les premières heures de vie de
l'instrument, et demandent de nombreuses retouches avant que le bois
prenne sa place et soit stabilisé.
Certains aspects peuvent
être jugés avec objectivité : l'aisance dans l'aigu, la stabilité
des graves, le diapason... Mais la sonorité, la facilité à exprimer
l'intention musicale et le confort de jeu sont des facettes beaucoup
plus subjectives de l'instrument. C'est à cet instant que le travail
de facteur devient réellement artistique, à mesure qu'il modèle le
son et la personnalité de la flûte. Le réglage du bec est un travail
d'une grande finesse, qui demande de la délicatesse et du temps.
La flûte est jouée, essayée
puis retouchée de nombreuses fois, jusqu'à devenir un instrument
unique qui permettra une expression musicale aisée et qui offrira au
flûtiste un véritable plaisir de jouer.
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